SA PLACE DANS LA SOCIÉTÉ

    "Inconnu" ou "absent" de notre société, le marinier reste pourtant son fidèle SERVITEUR. N'est -il pas, en effet, le ravitailleur de nos ville en sucre, sel, blé, maïs, vin, fioul, etc... ; le transporteur de nos usines en charbon, minerai, bois, cailloux, papier, sable, ci- ment. Son domaine c'est le fleuve, la rivière ou le canal; et lorsqu'il lui faut, par nécessité, mettre pied à terre, ce sera toujours rapide- ment, brièvement, et encore s'arrangera-t-il pour retrouver un peu de son milieu vital en choisissant pour son ravitaillement l'épicerie du bord de l'eau qui ne sert que des mariniers, le café de la marine ou la bourse d'affrètement. Cette vie aquatique en fait une sorte de " religieux contemplatif", mis à part, séparé de ses frères terriens, préservé des contaminations politiques, morales et même religieuses. Échappant ainsi au contact d'une certaine " pollution" qui affecte beaucoup de nos industries, il gardera au fond de lui-même la fraîcheur et la netteté du " cloîtré".

    Sans oublier la valeur sociale de son travail, le marinier concentre surtout ses efforts sur la conduite parfaite et l'entretien méticuleux de son bateau. La salle des machines est un vrai salon, jamais une tâche de graisse, pas un grain de poussière; tout ici rutile et étincelle, les cuivres nombreux à bord sont astiqués toutes les semaines, la coque repeinte plusieurs fois par an, le logement minuscule est toujours bien entretenu et coquet. Chacun passera la majeure partie de sa journée à entretenir le bateau. Jamais, il n'y aura de temps mort: repeindre les écoutilles. revernir la marquise, nettoyer la cale après chaque déchargement, vérifier les cordages, etc., sont des occupations constantes.

    Les connaissances du marinier sont vastes. N'est-il pas, tout à la fois, peintre, menuisier, soudeur, serrurier, cordier, mécanicien ? Mais ses aptitudes ne se bornent pas au matériel, il est amené à connaître les nombreux textes administratifs ou juridiques codifiant ses obligations et ses droits, à posséder les rudiments d'une langue étrangère pour se faire comprendre dans les pays du marché commun, car c'est un fait à noter, le marinier est certaine- ment, à l'heure actuelle, le Français le plus européen qui soit. Ses voyages le conduisent au gré des frets, en Allemagne, en Belgique, en Suisse, en Hollande, au Luxembourg et demain dans ces mystérieux pays de l'Est. Il en était bien autrement de ses ancêtres: un rapport moral de l' '" Entr'aide Sociale Batelière" nous apprend que 

    " les mariniers de notre siècle sont plus particulièrement d'origine paysanne, du Nord, de l'Est, du Centre. Ainsi savons-nous que dans la plupart des fermes du Nord, les exploitants avaient non seulement des charrettes et des tombereaux pour faire leurs transports, mais encore des bateaux qui leur permettaient de conduire de plus importants volumes, sur de plus grandes distances; de là, on a pu appeler les mariniers "les charretiers de la voie d'eau " et comme l'on voit au bord de la mer des gens qui s'occupent à la fois de leurs champs et de la navigation, ceux-ci s'occupent à la fois de leurs champs et de leur bateau. Alors de jeunes paysans qui avaient pris goût au bateau pour les besoins de la maison, se spécialiseront pour de plus longs voyages, quitte à habiter sur leur embarcation, et prendront l'uni- que profession de marinier.

    Comme les voyages se réduisaient à des parcours limités à cause de la différence de gabarit des canaux, le marinier restait un homme bien intégré à son village, à sa région. »

    Aujourd'hui c'est l'homme de partout et de nulle part.

    Petite coquille de noix sur une mer déchaînée, la péniche se doit de servir cette bête tentaculaire et jamais assouvie : l'économie du pays. Alors! pour plaire à cette pieuvre féroce, qui ne connaît de l'homme que sa seule possibilité de travail, le marinier essaie de gagner sa faveur avec l'unique arme qui lui reste: LE RENDEMENT.

    Tel Sisyphe sur sa montagne, il passe sa vie aujourd'hui à courir d'une bourse d'affrètement à un port de déchargement.

    Le bruit du moteur résonne dans sa tête au son de : Il transporter... " transporter... transporter beaucoup... transporter vite... transporter bien... transporter dimanche et jours de fêtes..., car, de repos légal, il ne lui sera accordé que 5 jours par an (Pâques, 1er mai, 14 juillet, 11 novembre, Noël) en récompense de ses bons et loyaux services !

 

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